Les codes avaient changés
Du lycée Charlemagne où j'ai fait mon entrée en sixième (et ma sortie également par la même occasion). De mon cour passage au lycée Charlemagne donc, je ne garde que quelques souvenirs épars qui n'ont pas grand chose à voir avec la culture classique que j'étais supposé y acquérir.
Mes parents qui n'étaient pas passés par le lycée n'étaient plus en mesure de réellement contrôler l'activité que j'y exerçais, pour autant que j'y ai exercé une quelconque activité. Ils devaient penser que les professeurs allaient les alerter si leur rejeton ne s'appliquait pas en cours. Dans ce type d'établissement ce n'était pas l'habitude. Les professeurs distillaient leur savoir, libre aux élèves d'en profiter ou pas. Mes parents l'ignoraient. Ils n'avaient pas les codes et moi j'allais le nez au vent en profitant de cette nouvelle liberté.
Le professeur de français était le professeur principal de la classe de 6ème dans laquelle je me trouvais. Il semblait venir directement du début du siècle précédent. C'est lui que mon père a rencontré la seule fois ou il est venu au lycée, et il était venu seul sans interprète.
Monsieur Denis
Monsieur Denis, le professeur d'anglais, grand allumé devant l'éternel comme l'ont souvent été d'autres professeurs de la même discipline.
Mais son cas était beaucoup plus grave.
Il était l'auteur du manuel avec lequel nous travaillions et dont il nous avait imposé l'achat, bien entendu. Il avait l'habitude de déchirer dans son propre manuel la page du cours que nous venions de terminer. Cette habitude lui permettait dès le mois de mars de plier ce qu'il restait du livre et de le glisser dans son immuable veste de tweed.
Et pour dire à quel point son cas était préoccupant, un lundi matin dès le début du cours il nous a expliqué, comment la veille, un dimanche donc, il s'était levé comme d'habitude, était sorti dehors avait pris le métro et était venu jusqu'au lycée. Étonné de voir les portes fermées il est allé sonner chez le gardien qui lui a fait remarquer que dimanche le lycée était fermé.
Les temps ont changés, mais dans les années soixante les dimanche ne ressemblaient pas du tout à un jour de semaine. Les gens s'endimanchaient, s'aspergeait d'eau de Cologne et l'air avait une odeur particulière, Les cloches sonnaient et dans les rues par les fenêtres ouvertes on pouvait entendre "l'hymne à l'amour" ou les autres succès que diffusaient RTL ou Europe1. Cela n'arrivait jamais en semaine.
Des cours de Monsieur Denis je ne me souviens que ce proverbe qu'il nous a appris : "The busy bee has no time for sorrow" (1), qui n'est vraiment pas facile à placer dans une conversation si l'on veut briller en société.
Les cours de musique et le guide chant
Du lycée et des cours il ne me reste que peu de souvenirs en dehors celui de la prof de musique et de son guide chant pourvu d'un soufflet qu'un élève devait activer. La prof appuyait une touche du clavier et demandait à un élève quelle était la note jouée. Si ça tombait sur moi j'avais six chance sur sept de me planter. Pour les couleurs on dit "daltonien", pour les sons je ne sais pas mais c'est bien ça.
John Fitzgerald Kennedy
Charlemagne sera toujours lié pour moi à l'assassinat de J.F. Kennedy le 22 novembre 63. Je vois exactement à quel endroit de cette cour austère je me trouvais. C'était à l'entrée de la salle d'étude des 6ème. J'ai entendu quelqu'un crier "On a tiré sur le président Kennedy ! " C'était mon premier "11 novembre", ce type d'événements dont tous les membres d'un groupe se souviennent et pour lequel chacun est capable de se rappeler les circonstances dans les détails.
Le métro à pneus
Au début des années soixante la RATP avait entrepris de remplacer les anciennes rames par les toutes nouvelles rames "à pneus"
-1- ce qui veut dire : "l'abeille travailleuse n'a pas le temps pour s'épancher sur son sort" et en d'autre termes donc :
"Bosse et arrête de nous les briser"