Higelin : La rencontre

J’avais vingt cinq ans.
Un soir de janvier 1976 le téléphone sonne, je décroche et une voix éraillée me dit : »Bonsoir, c’est Jacques Higelin……. ».
Jacques Higelin pour moi comme pour beaucoup de personnes de ma génération c’était le chanteur qui venait de sortir « BBH 75 » avec Chales Benarroch et Simon Boissezon  et qui pour nous correspondait au premier album « Rock » français. Bien sur nous nous étions tous procuré les premiers albums de Johnny Hallyday ou d’Eddy Mitchell et il faut être franc nous nous en étions rassasié et nous les avions aimé. Nous les aimons encore pour la plupart aujourd’hui.
Mais Higelin, c’était différent. Il venait d’un autre monde, il éclairait le notre d’une nouvelle lumière dans lequel il était possible de dire :  »  xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx « 

Donc c’est de ce Jacques Higelin dont je parle et c’est lui que j’ai au bout du fil….

Je parviens à bredouiller quelques mots et Jacques continue : « Je vais sortir un nouvel album dans quelques jours, et la photo de couverture qu’a choisi la maison de disque est à chier, je n’en veux pas. » Il poursuit : « J’ai vu des photos que tu as fait de moi à la Fête de l’Huma. Elles sont bien. Tu ne voudrais pas faire la photo de couverture de ce nouvel album ? »

Oups !…. Il faut dire qu’à ce moment là Higelin avait sorti l’album « BBH 75 » et était considéré par ma génération comme le « Pape de l’underground français ».

Je venais de prendre un coup au plexus ! Mais j’ai vite refais surface et ai tenté de répondre d’un air détaché : « Mais bien sur ! Quand et où….. ?

Jacques habitait à la « Bergerie », une belle longère, dépendance du Chateau d’hérouville qu’avait acquis Michel Magne pour en faire un studio d’enregistrement. Je reviendrais plus tard sur ce sujet pour rendre hommage à Michel Magne, aux ingénieurs qui ont animés l’endroit mais aussi pour évoquer les groupes qui hantent aujourd’hui les murs de cet endroit.

Mais revenons à nos moutons, si j’ose dire car nous avions pris rendez-vous dès le lendemain chez lui, à la « Bergerie »
Je ne me souviens pas de quelle façon je me suis débarrassé de mes engagements professionnels, mais le lendemain j’arrivais à l’heure dite à Hérouville avec l’équipement nécessaire à une prise de vue.

Il y avait Kuelan, la compagne de Jacques, mon copain Patrick Giani, batteur qui avait montré à Jacques les quelques photos prise lors de cette fameuse fête de l’Huma en 75. Il y avait encore Simon Boissezon qui avait contribué à l’album « BBH » avec Charles Benharoch, et un jeune guitariste inconnu alors, qui avait un brillant avenir devant lui et qui s’appelait Louis Bertignac.

Jacques n’était pas là et nous passions le temps en alimentant de bûches le feu de la grande cheminée de la pièce centrale.

Jacques a fini par arriver et comme à son habitude, ça je l’ai compris par la suite, est venu m’accueillir gentiment.
Je ne voulais pas trahir mon émotion et je feignais maladroitement d’avoir l’air détaché.

C’est drôle, car trente ans plus tard Jacques lui même décrit un événement semblable lorsque dans son spectacle « Higelin enchante Trenet » il décrit sa rencontre avec Charles Trenet dont il était fan qui avait « enchanté » son enfance. Lui non plus ne voulais pas laisser transpirer son émotion.

Les musiciens ce sont ensuite installés dans la grande pièce de musique de la « Bergerie » et ont commencé à jouer. J’ai installé mon matériel de prise du vue. Et Jacques s’est mis à chanter quelques titres de ce nouvel album. J’ai surement déroulé une bonne dizaine de 36 vues Kodakrome car je voulais être sur d’avoir « Le cliché » qui allait faire la pochette du nouvel album de Jacques Higelin.

Les moins de vingt ans ne peuvent pas imaginer ce que voulais dire : « Prendre une photo » avant l’arrivée des smartphones et des appareils numériques. Aujourd’hui on prend vingt cinq clichés en quelques secondes sans « cadrer », sans respecter l’image et on passe à autre chose. Enfin si on les stocke dans un « cloud » on ne la regarde plus jamais.

A l’époque, la pellicule était envoyée au laboratoire et une période incompressible commençait alors avant la réception des épreuves. C’était un temps long, très long, toujours trop long pendant lequel les rêves de la « Photos sublimes » que l’on avait pu faire ou l’appréhension de la  « Photos à chier » se succédaient.

Curieusement je regrette souvent un peu cette période d’incertitude lié à ce mode ancien de prise de vues. Il y avait aussi un certain plaisir subtil lié à cette attente interminable. Bon ! Mais pour finir certains des clichés étaient bons, en tout cas certains ont plu à Jacques et au directeurs de Pathé-Marconi E.M.I.

Le lendemain je me rendais au siège de Pathé-Marconi EMI rue Lord Byron à Paris où Philippe Constantin et Christian Hergoth ont validé la photo qui allait devenir celle de la pochette du nouvel album de Jacques : « Irradié ».

J’ai repris le métro à Franklin-Roosevelt et dans la rame j’avais envie de dire à chacun des voyageurs, qui n’en avaient de toute façon rien à faire : Hé ! Tu sais quoi, Je viens de signer la pochette du prochain disque de Jacques Higelin qui va sortir dans quelques jours.